Contexte   La Bambouseraie en Cévennes, près d’Anduze est un remarquable jardin ouvert au public, créé par Eugène Mazel en 1855 et acquis par la famille Nègre en 1902. Nous avons choisi d’implanter notre installation dans le « vallon du Dragon », sur un bosquet de bambous Phyllostachys vivax Aureocaulis’, un grand bambou jaune d’or et majestueux.
Intervention   Le jeu des perles de verre est un installation minimaliste et poétique. La grâce et la beauté des bambous sont magnifiées par des « bijoux », des bracelets de perles.
Les perles de verre captent de furtifs rayons du soleil toute au long de la journée et les reflètent en un scintillement discret, témoignant du lien étroit qu’entretient le végétal avec la lumière. Les bracelets sont disposés au niveau des nœuds des chaumes pour souligner l’importance de ces derniers tant pour la solidité des tiges que pour la vie du bambou. C’est en effet à partir de ces nœuds que partent les feuilles qui assurent la photosynthèse et la croissance des chaumes.
Le titre Le jeu des perles de verre renvoie au roman éponyme de Herman Hesse, œuvre maîtresse qui lui vaudra le prix Nobel de littérature en 1946. Ce roman, initiatique et philosophique, comporte un épisode dans le « Bois des Bambous » où le héros étudie la philosophie de Tchouang Tseu. Celui-ci est un philosophe à qui l’on attribue la paternité du taoïsme dont Xiang Xiu, l’un des sept sages de la forêt de bambous, sera l’un des illustres commentateurs quelques siècles plus tard.

16 000 perles de verre, fil de fer inox

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Le jeu des perles de verre de Herman Hesse

1943 [traduction Jacques Martin]

Joseph Valet (Joseph Knecht dans l’œuvre originale en allemand) est le héros du livre Le jeu des perles de verre. Il s’agit d’une biographie fictionnelle où Valet est en quête de « sa » vérité, partagé entre le monde de l’intellect, du savoir, et le monde de la vie, et le monde plus réel de la société, de la politique, de l’action. Une quête entre Culture et Nature.
C’est un roman d’initiation comme la plupart des livres de Herman Hesse où, jeune étudiant, Joseph Valet s’initiera au Yi-King (Livre d’oracles chinois) auprès d’un ermite, le Frère Aîné, qui vit dans le Bois des Bambous, et « c’est avec une joie particulière, avec tendresse même, qu’il parla plus tard à ses proches du « Bois des Bambous » ».

Herman Hesse a effectué un voyage en Italie en 1901. En venant d’Allemagne, il a sans doute traversé la Suisse. Mais pour rester dans le registre de la fiction, qui est celui du Jeu des perles de verre, on pourrait imaginer qu’il soit passé à son retour par la France et qu’il ait eu l’opportunité de se rendre à la Bambouseraie de Prafrance, alors plus ou moins abandonnée après la faillite d’Eugène Mazel et un an avant d’être rachetée par Gaston Nègre.
Le « mélange savoureux du Midi et de la haute montagne » semble si bien s’appliquer aux environs de la Bambouseraie en Cévennes !

Extraits :

[…] un beau jour le Frère Aîné […] partit à pied par les routes, nanti d’un pinceau, de son godet à encre de Chine et de deux ou trois livres. Il se dirigea vers le Midi du pays, fut, tantôt ici, tantôt là, l’hôte des Frères de l’Ordre ; il chercha et trouva l’emplacement convenable pour l’ermitage qu’il projetait.

[…] il y vécut depuis lors une existence idyllique, conforme à la stricte orthodoxie de la Chine antique, tantôt prêtant à sourire comme un vieil original, tantôt vénéré comme une sorte de saint, en paix avec lui-même et avec le monde, passant ses jours à méditer et à recopier d’antiques rouleaux de manuscrits, quand l’entretien de son bois de bambou, qui protégeait du vent du nord un jardin miniature soigneusement disposé à la chinoise, n’absorbait pas son activité.

[…]
Ce fut donc là que Joseph Valet se dirigea à pied, en faisant de fréquentes haltes, ravi par le paysage, qui, après qu’il eut franchi les cols des montagnes du Sud, se présenta à lui, plein d’azur et de parfums, avec des vignobles ensoleillés en terrasse, des murettes ocres grouillantes de lézards, d’imposants bosquets de châtaigniers, mélange savoureux du Midi et de la haute montagne.
L’après-midi tirait à sa fin quand il atteignit le « Bois des Bambous » ; il y entra et vit avec étonnement un pavillon chinois au milieu d’un jardin bizarre : l’eau d’une fontaine tombait en clapotant d’un conduit en bois, coulait sur un lit de cailloux et remplissait presque un bassin en maçonnerie, dans les fentes duquel foisonnaient toutes sortes de plantes et où nageaient dans une onde limpide et calme quelques cyprins dorés.
Les palmes des bambous se balançaient, paisibles et frêles, au-dessus des robustes troncs élancés, le gazon était parsemé de dalles de pierre où l’on pouvait lire des inscriptions de style classique.
[…]

Non sans quelque gêne, Valet prononça les paroles chinoises qu’il avait imaginées en guise de salut : «Le jeune écolier se permet de présenter ses respects à son Frère Aîné.
– L’hôte bien éduqué est ici bienvenu, dit le Frère Aîné ; qu’un jeune collègue soit toujours le bienvenu chez moi pour boire une coupe de thé et prendre part à une petite conversation agréable ; il trouvera aussi ici un lit pour la nuit, si tel est son désir. »